Institutions et lieux du savoir

Bilan historiographique

La seconde moitié des années 1990 a vu apparaître plusieurs travaux envisageant l’introduction (et ses enjeux) de la musicologie et de l’ethnomusicologie dans différentes institutions de recherche et/ou d’enseignement. En France, ceux-ci ont principalement porté sur le Conservatoire de Paris et sur les débuts de l’institutionnalisation de l’ethnomusicologie (Campos 1995, Hondré 2001, Campos 2009, Charles-Dominique et Defrance 2009, Mayaud 2010, Gérard 2013), ou encore sur l’évolution de son déploiement dans ces institutions (voir par exemple Pirro 1930, Milliot 1983, Gétreau et Colardelle 2003).

À partir des années 1980, les musicologues canadiens, francophones pour la plupart, ont entamé des recherches sur l’histoire de leur discipline au Québec. Ces recherches ont donné lieu à des publications sur des figures importantes pour le développement de la musicologie québécoise : Maryvonne Kendergi, Lucien Poirier ou encore Marius Barbeau (Bail-Milot 1985 Coll. 1998, Smith 2003). À ces travaux ont succédé, dans les années 2000, des recherches sur l’histoire de l’institutionnalisation de la discipline à l’Université (Desroches 2006, Smoje 2006), ou à travers des sociétés et revues scientifiques telles la Société Québécoise de Recherche en Musique (fondée en 1981) et ses revues, les Actes du colloque de l’Association pour la recherche en musique du Québec (1983-1995), les Cahiers de la Société Québécoise de Recherches en Musique en 1997 ou Circuit (musiques contemporaines), fondée en 1990 (L’Écuyer 2006, Desroches 2006, Smoje 2006, Nattiez 2010).

En Suisse, l’étude des principales revues musicologiques suisses francophones a été entamée (Arlettaz 2007, Larcade 2007), ainsi que celle de la Fondation Paul Sacher (Brunner 1996). À ces articles s’ajoutent ceux, plus nombreux, sur l’histoire, ancienne ou récente, des établissements d’enseignement de la musique et de la musicologie (Eigeldinger 1991a, Campos 2003, Humair 2003, Dagon 2005). L’évocation de ces thématiques reste en revanche un terrain quasiment vierge pour ce qui concerne la Belgique francophone. La synthèse déjà ancienne pour la Belgique (Clercx 1958) constitue une exception.

Une étude comparée des contenus des cursus mais aussi des profils et des centres d’intérêt des enseignants-chercheurs d’établissements tels que l’Université Paris-IV (aujourd’hui Paris-Sorbonne) et Paris-VIII (Vincennes-Saint-Denis) à partir de 1968 et de la loi Edgar Faure, reste à faire.

L’étude historiographique des revues de musicologie et d’ethnomusicologie demeure par ailleurs un autre des points aveugles principaux. Les travaux de Michel Duchesneau (2015), partenaire du projet, dont ceux en cours sur la Revue Musicale et les numéros spéciaux de la Revue de Musicologie viendront partiellement combler cette lacune.

Objectifs de l’axe

Si chacune des aires culturelles francophones possède ses spécificités historiques et épistémologiques, il est possible, pour la France au moins, de scander l’évolution générale de la musicologie en quatre grandes phases : une phase de constitution (jusqu’à la fin du xixe siècle), une phase d’institutionnalisation (du Congrès d’histoire de la musique en 1900 à la création du département de la Musique de la BnF en 1942), une phase d’expansion et d’implantation au sein des universités (seconde moitié du xxe siècle), une phase de globalisation (xxie siècle). Il conviendra d’interroger la validité de cette chronologie pour les autres pays ainsi que les différents étapes de l’institutionnalisation de la musicologie dans l’espace francophone et leurs liens éventuels avec les politiques culturelles.

Il s’agira donc ici de réaliser une histoire des institutions musicologiques francophones (sociétés savantes, universités, conservatoires, bibliothèques, musées, revues spécialisées) ou des lieux moins formels de création et de transmission du savoir musicologique (salons, groupes de travail, bibliothèques privées, etc.). Cet état des lieux comprendra également une cartographie des musicologies francophones aujourd’hui, qui permettra la mise en réseau de ses différents acteurs, un des objectifs principaux du GDRI. Les collaborations rendues possibles par le GDRI permettront d’analyser le développement de la musicologie dans les universités francophones et au sein d’établissements d’enseignement et de recherche ou des conservatoires. Les types de cours proposés, l’évolution des diplômes, le genre et nombre de publications produites par les enseignants-chercheurs, l’ouverture sur l’étranger et la mobilité internationale des étudiants et des enseignants constitueront autant de points d’entrée possibles.

Différentes études monographiques et comparatives prendront place, à l’instar de celle qui sera menée sur l’histoire de la Revue de Musicologie (numéro spécial de la Revue de musicologie, Balmer et Lacombe 2017). Ce projet spécifique associera une analyse des contenus par objets et par approches avec une étude de l’ouverture de la revue à des chercheurs et à des méthodes et à des épistémologies issues d’autres traditions nationales.

Cette histoire institutionnelle pourra rejoindre les réflexions épistémologiques (axe 3) pour questionner l’insularité parfois reprochée à la musicologie française.